Le récent dossier consacré par la revue Courrier international à l’expansion du fondamentalisme chrétien (septembre 2005) dresse le schéma d’un christianisme évangélique conquérant le monde à partir des États-Unis et reproduisant les positions extrémistes d’une partie de la droite républicaine américaine : « Le christianisme évangélique, qui a favorisé l’élection de George W. Bush en novembre 2004, ne se limite pas aux États-Unis et gagne du terrain dans le monde entier. Au Brésil, en Afrique et surtout en Chine, les nouveaux adeptes se comptent par millions. Un peu partout fleurissent des communautés chrétiennes influencées par des prédicateurs américains prosélytes, qui prônent un christianisme radical et ultraconservateur. »
2Les dénombrements exhaustifs d’Églises récemment effectués par des coordinations d’Églises évangéliques dans plusieurs pays du golfe de Guinée, sur une initiative et des financements nord-américains, peuvent accréditer cette interprétation. Ils visent à repérer les zones « sous-christianisées », afin d’y introduire des missions. Mais sans dénier la réalité et l’ampleur mondiale du phénomène, l’étude empirique et minutieuse de Brazzaville, que nous avons menée entre 1995 et 2005, conduit à nuancer un tableau qui attribuerait à des dynamiques nord-américaines le phénomène de profusion religieuse observé dans nombre de pays des Suds.
3La plupart des grands mouvements évangéliques qui connaissent aujourd’hui le succès en Afrique noire existent depuis des décennies : les périodes pré- et post-indépendance furent une grande époque de diffusion dans les pays anglophones. Le phénomène est simplement plus lisible aujourd’hui, du fait de la plus grande liberté d’expression liée aux conférences nationales, et qui favorise partout l’effervescence religieuse. Le prosélytisme actif du protestantisme nord-américain en Afrique s’inscrit donc dans le prolongement de dynamiques locales qui étaient déjà largement amorcées.
4En Afrique noire, ces Églises chrétiennes évangéliques s’enracinent dans un champ religieux extraordinairement diversifié, surtout en milieu urbain. La variété des formes du christianisme contemporain y est peut-être plus grande que partout ailleurs. La créativité religieuse a accompagné chacun des bouleversements au siècle dernier : inculturation rapide des monothéismes importés dans la période précoloniale (islam) et coloniale (christianisme), emprunts mutuels, synthèses afro-chrétiennes et prophétismes locaux (par exemple le kimbanguisme, dans les deux Congo, regroupe trois à quatre millions de fidèles), messianismes « noirs », syncrétismes entre les croyances magico-religieuses locales et le christianisme, invention de nouveaux « traditionalismes » qui confortent des affirmations identitaires.
5Plus radicalement, certains mouvements récents, d’origine protestante américaine, bien implantés en Afrique, n’entretiennent aucune relation avec le pentecôtisme et même pourfendent toutes les Églises protestantes. Il s’agit des très radicaux « saints de derniers jours » (mormons), témoins de Jéhovah, l’Alliance universelle pour le christianisme mondial (Moon), ou encore d’Églises apostoliques et néo-apostoliques, qui suivent la « vision » (ultraconservatrice), de prédicateurs et « apôtres » comme William Marion Branham et ses successeurs. Enfin les fameux « télévangélistes », s’ils incarnent l’une des formes récentes et spectaculaires de la mondialisation médiatique du religieux, mènent surtout une carrière personnelle [Gutwirth, 1998]. Ils ne devraient pas faire oublier l’histoire des mou vements dont ils sont issus, et à partir desquels ils se sont constitués une audience, une influence et une source de revenus. Leur influence politique est amoindrie, voire nulle, dans un pays où la démocratie est purement formelle, comme le Congo. Ils doivent leurs succès auprès du public africain à l’effervescence religieuse du continent, et pas l’inverse.
Le champ « chrétien évangélique » lui-même est caractérisé par une extrême hétérogénéité des styles et des dogmes. L’interprétation simplificatrice en termes de « déferlante évangélique » occulte sa diversité, les clivages et les contextes historiques. Elle réalise un amalgame entre des tendances très diverses, par exemple entre baptistes et pentecôtistes, qui ont certaines conceptions dogmatiques diamétralement opposées.
CAIRN.INFO
 
 


