La « mouvance évangélique »


Le terme d’Églises évangéliques est polysémique. Au sens large (acception allemande), il correspond aux luthériens par opposition aux calvinistes, et, dans ce sens, la dénomination fut revendiquée par des Églises de catégories diverses : congrégationalistes, anabaptistes et baptistes, méthodistes, les quakers, l’Armée du Salut, les pentecôtistes et de nombreuses Églises indépendantes locales. Leur point commun est de prôner un retour à la lettre biblique comme référent, ainsi qu’à la simplicité de l’Évangile primitif, qui passe par l’affranchissement par rapport à des institutions cléricales considérées comme inutiles et formalistes, de placer les croyants (édifiés par la lecture de la Bible) sur un pied d’égalité, sans hiérarchie, même si des ministères sacerdotaux existent. Elles valorisent la conversion du cœur, expérience spirituelle vécue dans une forte charge affective (les témoignages publics de conversion personnelle tiennent une place importante). Elles se présentent comme des communautés de « vrais convertis » baptisés à l’âge adulte (baptistes). Certaines refusent le principe même du baptême. Elles entretiennent des liens parfois tendus avec les Églises réformées. Il existe en France une fédération évangélique (créée en 1969) qui regroupe 208 Églises et n’appartient pas à la fédération protestante. Cependant des rapprochements entre certaines Églises sont amorcés par le biais d’institutions œcuméniques.

Historiquement, les racines de l’évangélisme sont à chercher dans le mouvement vaudois, chez les hussites, puis les huguenots persécutés en France au XVIe siècle, puis le courant évangélique (au sens général) se développe en Angleterre dès le XVIIe siècle, ainsi qu’en Europe du Nord, puis en Amérique. Le « puritanisme » (que nous appellerions aujourd’hui fondamentalisme) prônait un retour radical à la lettre biblique, une adéquation entre foi et mode de vie, et l’inutilité d’une hiérarchie cléricale. De plus en plus opposés à l’anglicanisme officiel (dont le roi d’Angleterre est le chef), nombre de puritains du royaume d’Angleterre (souvent écossais ou gallois) sont déportés en Amérique. Cette histoire ancienne explique que les États-Unis sont depuis le XIXe siècle le foyer de nombreux mouvements chrétiens indépendants qui essaiment de par le monde. Mais les petits foyers européens ne se sont pas éteints pour autant. Des tendances évangéliques qui existent actuellement au sein du protestantisme (un tiers des protestants de France), si elles peinent à se faire reconnaître par les fédérations officielles, n’en sont pas moins demeurées vivaces, indépendamment des grandes Églises nord-américaines dont les médias font leur « une », et elles ont une influence dans le monde francophone, notamment en Afrique.

Durant la colonisation, chaque État menait sa propre politique, parfois soutenue par une Église instituée. Parallèlement, mais sans concertation, chacune des Églises évangéliques indépendantes a organisé ses missions selon le principe d’évangélisation des peuples. Les puissances coloniales ont parfois cherché à les entraver, comme le Royaume-Uni au nord du Nigeria. Les missions les plus précoces interviennent dès le début du XXe siècle dans les pays aujourd’hui anglophones, au moment de la colonisation britannique. En Afrique centrale, ce sont des Églises évangéliques nordiques (Norvège et Suède dans les deux Congo) qui s’implantent, dès la fin du XIXe siècle. Il en résulte qu’au Congo l’Église protestante officielle est déjà une Église évangélique (Église évangélique du Congo), fondée à l’origine par des missionnaires provenant d’une branche dissidente de l’Église luthérienne suédoise (en 1898). Elle a donné lieu à des adaptations locales, parfois très libres, à des scissions, à des dérives. Beaucoup de « prophètes » initiateurs d’Églises africaines sont d’anciens catéchistes baptistes.

Le pentecôtisme fait partie de la grande mouvance évangélique. Il provient de dissidences au début du XXe siècle au sein des Églises réformées aux États-Unis et en Grande-Bretagne, notamment parmi les méthodistes noirs américains. Il compterait maintenant plus de 150 millions de croyants partout dans le monde (chiffre incertain du fait de la multiplicité d’Églises impliquées). Le dogme est aussi fondé sur une interprétation littérale de la Bible, la croyance au retour proche du Christ, mais surtout sur l’importance du « réveil » ou « baptême par le Saint-Esprit » qui s’éprouve par des charismes. « L’effusion du Saint-Esprit » est exprimée par le signe initial du « parler en langues », incantations individuelles formées de mots inconnus, à l’instar dit-on des apôtres de l’Église primitive. Il s’agit d’une transformation intérieure, dont les « charismes » (ou dons) ne sont que la conséquence : ainsi les croyants peuvent recevoir le don de guérir, qui n’est pas réservé au pasteur. Chaque assemblée locale est autonome, mais elles sont souvent unies en fédérations, ce qui est le cas en France ou aux États-Unis.

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