Après la chute du mur de Berlin, l’arrivée de chrétiens évangéliques occidentaux en Europe centrale et en Russie a été d’autant plus remarquée qu’elle semblait confirmer le renouveau religieux qui, dans ces pays, marquait la sortie du communisme. On a pu penser un moment que l’on assisterait au même phénomène d’expansion évangélique, en particulier charismatique, qu’en Amérique latine et en Afrique. Craignant la concurrence de missionnaires sur son territoire canonique, l’Église orthodoxe russe vit le phénomène comme une menace et en exagéra l’importance. Pourtant, près de quinze ans après l’effondrement de l’Union soviétique, les sondages révèlent la faiblesse persistante de la pratique religieuse et la forte sécularisation de la société postsoviétique. Loin d’être triomphant, le protestantisme évangélique, miné par des tensions internes, n’a pas acquis la visibilité que l’expansion des débuts permettait d’imaginer. Les mouvements occidentaux se heurtent aux chrétiens évangéliques et baptistes russes, dont les origines remontent aux années 1860-1880. À cela s’ajoute un climat politique marqué par le développement du nationalisme et de moins en moins propice à l’essor de l’évangélisme originaire de l’Occident.
La confrontation des valeurs évangéliques et de l’ethos postsoviétique
9Le mouvement évangélique était déjà très diversifié durant la période soviétique, mais la centralisation des structures exigée par le pouvoir à des fins de contrôle en limitait l’expression. Les missions étrangères, puis les nouvelles églises russes, qui ont, à leur tour, essaimé, ont introduit des logiques de concurrence et provoqué au sein de l’Union des chrétiens évangéliques-baptistes des tendances centrifuges. Les plus jeunes, en particulier, se sont séparés des églises qu’ils jugeaient trop conservatrices. Leur capacité à communiquer directement en anglais avec les pasteurs américains a sans doute contribué à creuser le fossé générationnel. Les missions ont formé de nouveaux croyants qui ne partagent pas avec les plus anciens des communautés protestantes la mémoire des persécutions qui a si fortement modelé la culture évangélique russe.
Des conflits ont éclaté au sein des mouvements évangéliques à propos du centralisme institutionnel, des relations avec l’État russe – la question du service militaire, problème traditionnel des communautés évangéliques en Russie, continue de susciter des débats –, du rapport à l’héritage soviétique et des compromissions passées de l’Union panrusse des chrétiens évangéliques-baptistes avec le pouvoir. Des conflits ont également surgi autour de la doctrine théologique de la prédestination entre des missionnaires américains calvinistes et des communautés russes généralement arminiennes. D’autres, enfin, se sont produits autour des pratiques et coutumes, en particulier des vêtements et de la musique. Le port du pantalon et l’absence de fichu pour les femmes, acceptés par les pasteurs américains, sont des motifs de blâme aux yeux des communautés traditionnelles russes, comme la musique rock et, de façon générale, la musique américaine, jugée trop gaie. Les baptistes russes traditionnels réprouvent la familiarité que les Américains entretiennent avec leur Dieu et entendent préserver un sens de la sacralité, qui les rapproche d’ailleurs des orthodoxes.
Accordant une place très importante à l’autorité du pasteur, ils sont en outre peu enclins à favoriser l’initiative individuelle. De façon générale, ils insistent sur la spécificité de leurs enseignements, qu’ils jugent plus purs que ceux de l’Occident, et considèrent que le rideau de fer les a préservés de toute déviance théologique. Alors que les églises les plus récentes jouent le jeu de la concurrence sur le marché spirituel et cherchent à accroître le nombre de leurs membres par un activisme missionnaire débordant, les communautés traditionnelles se replient sur elles-mêmes et s’isolent du reste de la société, dans une attente passive de la fin des temps.
Cette dernière tendance, que l’on pouvait observer durant les persécutions de la période soviétique, s’explique, dans les années 1990, par une nouvelle phase de harcèlement à l’encontre des protestants, mais se nourrit également d’un contexte social où domine la méfiance à l’égard de l’État et d’autrui.
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