Les Évangéliques et la Bible en Amérique

La revendication de la Bible, à des fins politiques et économiques, a été et demeure souvent instrumentalisée. Ainsi en Amérique latine, où nombre d’évangélistes sont devenus des acteurs politiques de plus en plus prépondérants et souvent liés aux forces et autorités politiques conservatrices et réactionnaires. Allen Dwight Callahan, professeur universitaire de théologie et pasteur baptiste états-unien, en fait ici une analyse.



La cohorte de la droite religieuse protestante en Amérique latine qui s’est récemment engagée en politique dans différents pays porte divers noms — « évangéliques », chrétiens évangéliques, protestants évangéliques, pentecôtistes, néo-Pentecôtistes. Mais ces termes cachent plus qu’ils ne révèlent. L’activisme récent à base ecclésiastique aide, encourage et habilite désormais les régimes de droite et les politiques économiques néolibérales qu’ils servent. Les églises évangéliques qui composent cette cohorte sont une « souche mutante » de la piété petite-bourgeoise, genre qui a toujours servi le capital. Et un genre qui a toujours été conservateur quand il n’était pas carrément réactionnaire, avec une posture pharisaïque, en fin de compte amorale et opportuniste.

le christianisme évangélique considère la Bible comme le guide faisant autorité pour la foi et la pratique. Ces questions doivent être jugées à la lumière de la Bible, arbitre ultime de toute vérité. Les évangéliques, pour asseoir leur vérité, devaient en trouver le témoignage dans les Écritures. C’est ainsi que la Bible figurait en bonne place dans les controverses sur l’esclavage américain. Les anti-esclavagistes comme les pro-esclavagistes ont collecté des textes bibliques à l’appui de leur position. Les arguments des deux côtés de la question de l’esclavage aux États-Unis étaient parfois ingénieux, parfois pervers, myopes, farfelus, mais toujours « bibliques », en ce qu’ils revendiquaient toujours le texte biblique pour argumenter. Le polémiste et le propagandiste évangélique, en dernière analyse, offraient une exégèse comme substrat indispensable à leur argumentation.

L’évangélisme a subi une mutation à l’approche du XXIe siècle, ajustant à nouveau son orientation biblique vers le capital. La Bible ne sert pas de base à des discours, elle est un objet de vénération. La Bible cesse de fait d’être un livre, en ce sens qu’elle n’est pas lue. Elle n’est même pas ouverte. Elle ne soutient aucun argument. Elle est un article de foi, croyance en un objet matériel. La Bible est considérée, vénérée, elle n’est pas lue. La Bible est donc un livre fermé. Le capitalisme tardif a poussé la religion évangélique dans un coin encore plus étroit de l’espace public, avec une expression plus restreinte, une existence dépendante du pouvoir de l’élite. Les concessions de l’évangélisme au capital relèvent d’une capitulation complète.

Les évangéliques du XXIe siècle ne lisent plus la Bible et ne se réfèrent pas à son contenu. La Bible pour eux n’est pas un livre mais une icône. Une icône, pas un talisman ni un fétiche. Car le talisman et le fétiche sont des objets que l’adepte manipule pour faire bouger quelque chose. En fait la Bible, entre les mains des évangéliques [d’aujourd’hui], ne fait rien. C’est le pasteur et le croyant, évangéliques, qui agissent. La Bible est un objet instrumentalisé, qui autorise les évangéliques à faire des choses qui n’ont apparemment rien à voir avec le contenu du Livre, mais qui s’accordent avec l’hégémonie du capital. La Bible, en livre fermé, donne l’image d’un instrument de pure fonction autoritaire. Elle assume publiquement l’apparence d’une lecture impossible. Sans texte, ni contexte, simplement un objet, au contenu englobé par sa couverture, aux pages prisonnières, aux mots incarcérés. La Bible devient icône, tiroir, idole ; l’engagement avec ce livre fermé ne relève alors pas de la lecture, mais de l’idolâtrie.

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